Chère lectrice, cher lecteur,
Cette édition de « Justice – Justiz – Giustizia » est principalement consacrée à la thématique de l’autonomie administrative – la surveillance – la haute surveillance. Elle contient une série de contributions sur divers aspects relatifs à ces thèmes, du point de vue des tribunaux d’instance inférieure surveillés, des tribunaux d’instance supérieur surveillants et des tribunaux supérieurs exerçant la haute surveillance. Est également présenté le point de vue des autorités exerçant la haute surveillance – d’une part le Parlement, respectivement les commissions compétentes – et, d’autre part, un conseil de justice.
La présente édition aborde les questions suivantes : a-t-on besoin d’une surveillance ? Que peut-elle apporter ? Quelles seraient les modifications nécessaires à effectuer ? Existe-t-il déjà d’autres modèles adéquats ? Quel est le rôle de la haute surveillance ? A-t-elle fait ses preuves ? Quelles seraient les conséquences de la mise en place d’un tribunal suprême, qui ne serait soumis qu’à la haute surveillance, et quels impacts cela aurait-il sur l’autonomie administrative ? Il nous semble particulièrement intéressant de pouvoir montrer ici les avis contraires de deux institutions impliquées : d’une part le Tribunal fédéral, et, d’autre part, le Tribunal administratif fédéral. Le lecteur se fera sa propre opinion. Le regard sur la thématique de l’autonomie administrative – la surveillance – la haute surveillance provient cette fois essentiellement du point de vue suisse.
Nous avons donc choisi de ne pas traiter ici la manière de procéder des autres pays. Cela ne signifie toutefois pas que les thèmes abordés ne soient pas significatifs également du point de vue international. Il faut mentionner ici en particulier, en tenant compte des positions du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif fédéral mentionnées ci-dessus, le fait que la Commission de Venise se penche également sur la question de la surveillance, en regard de l’indépendance judiciaire, dans son RAPPORT SUR L’INDÉPENDANCE DU SYSTÈME JUDICIAIRE, PARTIE I : L’INDÉPENDANCE DES JUGES (adopté les 12-13 mars 2010). Elle y expose ainsi que : « dans les textes internationaux, la question de l’indépendance interne au sein du système judiciaire a bénéficié d’une moindre attention que celle de l’indépendance externe. Elle semble pourtant tout aussi importante. Dans plusieurs Constitutions, il est indiqué que « les juges ne sont soumis qu’à la loi ». Ce principe protège d’abord les juges contre toute influence extérieure indue. Cependant, il peut aussi s’appliquer à l’intérieur du système judiciaire. Une organisation hiérarchique de la magistrature dans laquelle les juges seraient subordonnés aux présidents de tribunaux ou à des instances supérieures dans l’exercice de leur activité juridictionnelle porterait manifestement atteinte à ce principe. » (Rz.68).
La Commission de Venise renvoie ensuite au Conseil consultatif de juges européens (CCJE), qui retient qu’ « il s’agit avant tout de souligner ici qu’un juge dans l’exercice de ses fonctions n’est l’employé de personne ; il exerce une fonction de l’Etat. Il est par conséquent le serviteur de la loi et il n’est responsable que devant la loi. Il est évident qu’un juge lors de l’examen d’un cas n’agit sur aucun ordre ou instruction de la part d’un tiers au sein ou à l’extérieur du système judiciaire. » (Rz.69).
Même si ceci n’exclut pas en soi une surveillance par des tribunaux suprêmes sur des tribunaux inférieurs, pour autant que les limites soient clairement définies, les problèmes en découlant sont clairement visibles : quand le danger d’une influence sur la jurisprudence, clairement inadmissible, commence-t-il ? Par quelles activités et mesures de surveillance une telle influence peut-elle être évitée ? C’est la raison pour laquelle il est intéressant de voir que la Commission de Venise constate, entre autres, que « la Commission de Venise a systématiquement défendu le principe de l’indépendance individuelle de chaque juge : « Enfin, conférer à la Cour suprême la compétence d’exercer la surveillance de l’activité des tribunaux de droit commun », en vertu de l’article 51 par. 1er, semble contraire au principe de l’indépendance de ces derniers. Si la Cour suprême doit pouvoir casser les jugements des tribunaux inférieurs, ou les reformer, elle ne saurait exercer une surveillance sur leur activité. » (CDL-INF(1997)6, par. 6. » (Rz. 71).
Les questions spécifiques à l’indépendance administrative – d’un côté le traitement dans les délais des cas, et, de l’autre côté, la garantie de l’indépendance de la cour appelée à statuer – sont traitées dans les contributions de Giacomo Oberto et de Marco Zardi. Giacomo Oberto se penche sur une perspective internationale, alors que Marco Zardi se concentre sur le nouveau Tribunal fédéral des brevets. Plus particulièrement, la contribution de Marco Zardi nous fait dresser l’oreille ;elle soulève en effet la question, entre autres, de savoir si les règles de récusation, que le Tribunal fédéral des brevets a édicté dans un règlement, satisfont aux standards de droit international et si elles sont conformes à l’indépendance et à la neutralité des juges garantie par la Constitution. L’allusion concernant la possibilité d’ « opinions dissidentes » est également intéressante. Cela est-il possible dans notre système suisse, qui prône la collégialité – au contraire du système anglo-saxon, dans lequel la voix d’un juge unique est prépondérante, sans une base légale spécifique (voir art. 238 CPC, relatif au contenu des décisions des juges) ? Enfin, l’indication selon laquelle les juges à temps partiel au Tribunal fédéral des brevets n’ont pas un aperçu de toutes les affaires aboutissant au Tribunal est également étonnante. Toutes ces questions soulèvent des réflexions quant à l’impartialité et à l’indépendance des juges. Si Zardi justifie ainsi le système, en arguant qu’autrement il ne serait pas possible de trouver des juges compétents en nombre suffisant cela soulève la question de savoir s’il n’y a pas une lacune dans notre système.
Les colonnes du comité de l’Association suisse des Magistrats de l’ordre judiciaire se penchent également sur ce thème : Myriam Grütter analyse la question de la capacité à diriger dans la justice.
Comme d’habitude, la Revue des juges contient également les actualités de la rubrique Personalia, ainsi que la revue de presse et des indications relatives à la littérature actuelle.
Dans le cadre de l’unification des systèmes de publication de Weblaw, une mise à jour technique de « Justice – Justiz – Giustizia » a été mise en œuvre. Par la même occasion, nous avons fait les premières adaptations concernant la mise en forme.