Chère lectrice, cher lecteur,
La présente édition de la Revue est focalisée sur l’institution du Conseil de la Magistrature. Pourquoi ce choix ?
Il répond aux objectifs que s’est fixés notre Revue. Celle-ci veut entre autres montrer dans quelle mesure la Justice est à même de remplir son rôle de troisième pouvoir dans l’Etat, sans parti pris et de façon indépendante.
La question se pose ici de savoir si et dans quelle mesure une institution plus ou moins indépendante des pouvoirs politiques, chargée de désigner et/ou de surveiller et d’exercer le pouvoir disciplinaire sur les juges est de nature à renforcer l’indépendance de la justice.
Nous voulons aussi examiner dans quelle mesure cette institution s’est développée dans le Monde et plus particulièrement en Suisse. La parole est donnée dans la présente édition non seulement à des juges, mais aussi à un avocat et à un homme politique.
Le sujet est présenté dans ses lignes générales par Pierre Zappelli qui décrit les traits principaux de l’institution et les diverses formes qu’elle prend dans le Monde et en Suisse.
Plusieurs articles permettent ensuite de connaître de façon plus approfondie la forme qu’ont pris les Conseils de la Magistrature, au Canada (Me Luc Huppé), en Europe (Roger Errera pour la France ; Alfredo Viola pour l’Italie). Enfin, la plupart des Conseils de la Magistrature existant en Suisse sont décrits par Valentina Tuoni pour le Tessin, par Anne Colliard pour Fribourg, par Louis Peila pour Genève et par Jean Moritz pour le Jura.
Une constatation se dégage : il n’y a pas de Conseil de la Magistrature ni sur le plan fédéral, ni dans les cantons alémaniques. Pour les juges fédéraux, des éléments d’explication se dégageront de l’article de Dick Marti, Conseiller aux Etats. On continue cependant de s’interroger sur l’absence d’institutions analogues aux Conseils de la Magistrature en Suisse allemande. D’où provient cette différence si nette par rapport à la Suisse romande et italienne ?
Est-ce de la défiance vis-à-vis de cette institution, qui prend sa source dans une culture essentiellement latine ? Est-ce la crainte qu’elle engendre un déficit de démocratie ? Cela en tout cas ne serait guère justifié : la désignation des magistrats judiciaires et, sauf à Fribourg, leur réélection, demeurent dans les mains des parlements ou du peuple, et cela partout en Suisse, y compris dans les cantons ayant adopté un Conseil de la Magistrature.
Serait-ce alors la crainte des pouvoirs politiques de perdre le contrôle du pouvoir judiciaire, de voir ce contrôle s’exercer par des institutions formées en grande partie de juges ? Cette explication est essentiellement valable dans les cantons ne connaissant pas de Conseil de la Magistrature, où les parlements demeurent autorités de surveillance des autorités judiciaires supérieures.
Est-ce plus simplement l’absence de perception de l’intérêt que peut présenter une telle institution pour la sauvegarde de l’indépendance du pouvoir judiciaire? Si tel est le cas, la lecture de la présente édition de notre Revue devrait faire apparaître l’intérêt de confier à de tels conseils spécialisés, mais composés de représentants de divers corps de la société, la gestion de la carrière des magistrats.
Nous osons espérer que les contributions qu’elle contient feront progresser la cause de l’institution. Celle-ci ne met nullement en danger, sous les formes qu’elle connaît dans notre pays, le principe de la désignation des juges par les parlements ou par le peuple, auquel la majorité de nos citoyens sont si attachés. Par ailleurs, elle renforce l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle soutient le système de la séparation des pouvoirs et, par là même l’état de droit. Enfin, et ce n’est pas son moindre effet, elle est de nature à assurer et à améliorer la qualité du troisième pouvoir.
Bonne lecture.
Anne Colliard, Stephan Gass, Regina Kiener, Hans-Jakob Mosimann, Thomas Stadelmann, Pierre Zappelli